Ragon, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes

Publié le par olivier Legrand

Ragon M. (1986), Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes- 1. Idéologies et pionniers 1800-1910, Casterman, Paris, p.374

    À la fois romancier, docteur en lettres, Professeur à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, Michel Ragon fut l’un des premier auteur français a traité de la question de l’architecture dite « moderne ». C’est en 1958 qu’il publia sa première histoire de l’architecture moderne, Le livre de l’architecture moderne.

1. Choay et Ragon: différences et ressemblances
Choay (L'Urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, 1979) et Ragon domine aujourd’hui ce domaine d’étude ; Ragon a été couronnée par l’Académie Française et par l’Académie d’architecture. Contrairement à Choay qui présente une anthologie de texte organisé autour d’une théorie opposant deux types d’architectures, d’urbanisme, l’approche « moderne » s’opposant à l’approche « progressive », Ragon propose lui une analyse au fil de l’eau, du texte, ce qui pose un certain nombre de problème.
L’approche historique et linaire développée dans l’Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes est l’une des principales qualités et faiblesse de l’étude. Qualité car l’auteur situe historiquement les textes présentés, il donne à la fois le contexte social, technique, avec plus ou moins de réussite, et le contexte intellectuel, en situant les textes par rapport à la sortie du  tome 1 du Capital en 1867. Mais l’auteur ne s’appuie pas sur une théorie de la transmission des idées, il s’agit de comparais les dates de publication pour savoir qui a inspiré qui. Le gros désavantage de cette approche est que l’auteur délivre une critique diffuse qui ne s’appuie pas sur une théorie clairement explicitée. Et c’est la principale faiblesse de cet ouvrage, car on a l’impression d’être en face des considérations personnelles de l’auteur. Une distribution de bons et de mauvais points est effectuée par l’auteur sans que les principes guidant cette distribution soit explicitée. Ragon nous délivre un jugement à la fois esthétique, morale, politique, et en traitant de « débile » une époque, un ouvrage, l’ouvrage perd de son sérieux.
Choay et Ragon partage surtout une même approche de l’urbanisme qui se reflète dans un choix de textes quasi identique et présentant les mêmes lacunes. Qu’est-ce que l’urbanisme pour c’est deux auteurs ? l’urbaniste n’est qu’un architecte qui travaille non pas à l’échelle du bâtiment mais à l’échelle de la ville, ou plus exactement du quartier, de la cellule, commune, unité d’habitation ou encore phalanstère. Cette définition « ascendante » de l’urbanisme va influencer à la fois le choix des textes et leur lecture, ce que l’auteur retiendra de l’oeuvre de Fourrier c’est son phalanstère, c’est cette cellule, qui séparé ou aggloméré, qui compose l’urbaine. Ainsi si à la différence de Choay, Ragon présente des ouvrages plus généraux, il va y chercher cette cellule où la condamnation d’un type de cellule. Les textes de géographie, de politique, de démographie sont les grands absents de cette approche, c’est surtout l’échelle interurbaine et l’échelle de l’agglomération qui sont évacuées.

2. Bibliographie
Comme nous l’avons déjà dis malgré les limites venant de la définition de l’urbanisme, l’étude à l’avantage de s’appuyé sur des classiques mais aussi sur des ouvrages moins connue ou des auteurs plus connue dans d’autre domaine, comme par exemple Kropotkine.
E. Cabet (1840), Voyage en Icarie
Fourier G. (1849), « Des modifications a introduire dans l’architecture des villes », La Phalange
Considérant V. (1846), Exposition abrégée du système phalansterien de Fourier
Owen R. (1848), Universelle Revolution
George H. (1879) Progress and Poverty
Richardson B. W (1876), Hygeia
Kroptkine P. (1899), Champs, Usines, Ateliers
Ruskin J. (1853), Éloge du gothique

3. Les cellules utopiques, réalisations
L’ouvrage recense aussi l’ensemble des cités utopiques réalisées au cours du 19° siècle.
Malheureusement on trouve peu de traces de cette réalisation, de ces cellules financées par des fonds propres.
Modèle Icarien
-1847 : Icare, Texas
-1956 : Icare, Cheltenham, Saint Louis
-1860-80 : Icare, Iowa
-1881-87 : Icare Espérance, Californie
-1880-95 : New Icare, ???
Réalisation de Considérant
-Après 1849 :Colonie de la Réunion, près de Dallas
Réalisation de Owen
-1824 : New Harmony
- 18 ??: Combe, Édimbourg
-1839 : Harmony Hall, Southampton
Modèle Phalanstère
1869 : La familistère de Gobin, Guise, Aisne
 http://pagesperso-orange.fr/familistere.godin/oeuvre-frame.html


4. L’histoire de l’architecture n’est pas l’Histoire de l’architecture moderne
p.153
« En fait, il ne faut pas confondre « Histoire de l’architecture » et « Histoire de l’architecture moderne ». Une histoire de toute l’architecture au XIXe siècle nous montrerait un monde moins chaotique qu’on pourrait le supposer puisque presque entièrement dominé par l’historicité. »
  p.156
« Mais l’histoire de l’architecture moderne est justement l’histoire de ces exceptions. Il est certain que les théoriciens d’une nouvelle architecture, que les premiers réalisateurs d’une architecture moderne née de techniques et de matériaux nouveaux, ont eu peu d’influence sur leur temps, en dehors d’un petit cercle d’initiés. Et, encore, aujourd’hui, il existe peu d’œuvres, visibles, d’une réelle architecture moderne. L’histoire de l’architecture nous montre deux architectures parallèles, menant leur vie propre ; l’une que l’on voit partout et qui n’est ni un art,  ni une science, mais seulement le résultat des entreprises de constructions ; l’autre, semi-clandestine, qui est ce mince filet de vie ayant survécu à la fois aux aberrations de l’historicité et à l’inculture de la civilisation industrielle ».

5. Les matériaux de l’architecture moderne

    L’histoire de l’architecture est intimant lier à celles des matériaux de constructions, affirmation qui paraît évidente. Mais la découverte de leurs  potentiel technique ou esthétique est une histoire longue et conflictuelle. Acier et béton armé furent introduit dans l’architecture comme matériaux de remplacement, c’est leur faible coût qui explique leur introduction dans la construction et non leurs caractéristiques physiques,… De matériaux de substitutions à celle de matériaux nobles, tout une histoire, le plus souvent conflictuelle.
p.191
    « Dans l’histoire de l’architecture métallique, on mélange communément l’architecture en fonte, celle en fer et celle en acier. On dit tantôt que le Crystal Palace était construit en fer, tantôt qu’il l’était en fonte ; que la tour Eiffel est en fer, ou bien en acier. C’est qu’en faut, que ce soit la fonte ou l’acier, il s’agit toujours du minerai de fer, mais traité différemment. La fonte est un alliage de fer et de carbone. Elle présente un inconvénient majeur qui est de ne pouvoir être ni laminée, ni forgée, ni martelée. On peut obtenir par coulée des pièces métalliques en fonte de grande taille. On peut  aussi mouler la fonte. Cette faculté de prendre n’importe quelle forme dans un moule fit que la fonte servit à toutes les aberrations du pastiche. La fonte fut le matériaux « artistique » privilégié de la première période industrielle. La fonte envahit tout l’environnement humain : des colonnes de l’usine aux colonnes de l’église, des arcs des ponts aux ustensiles de machines. Elle fut le symbole même de la civilisation du métal et de la perversion du goût.
    C’est le minerai de fer, traité dans les hauts fourneaux, qui donne de la fonte. Si l’on élimine l’excès de carbone de la fonte par le puddlage, on obtient le métal que l’on appelle fer, ou, en diminuant encore le carbone, l’acier. Pour obtenir de l’acier inoxydable, on ajoute du chrome. C’est en 1855 que Bessemer inventa le convertisseur qui porte son nom, et qui rendit possible la production industrielle de l’acier. »
p.246
    « Précisons tout d’abord qu’il ne faut pas confondre béton et béton armé, comme le font certains auteurs qui citent des brevets antérieurs à ceux de Monier ; ni ciment et béton. Le ciment est un mélange d’argile et de calcaire, soumis à une cuisson et finement moulu. Additionné d’eau, il se solidifie. Le béton est un mélange de ciment, de sable, de graviers et d’eau. Lorsque l’on noient des tiges d’acier ou des treillis métalliques dans le béton, celui-ci devient béton armé.
    L’histoire du ciment précède, bien sûr, celle du béton. Les Romans utilisaient le ciment. Mais le béton n’a été inventé qu’en 1820 par le Français Vicat. Quand au béton armé, son invention ne semble pas être le résultat de la trouvaille géniale d’un individus, mais de l’apport successif, parfois simultané, de différents techniciens.
    Les deux composantes du béton armé, matériaux qui deviendra typique de l’architecture moderne au XX° siècle, étaient d’ailleurs connues, l’un depuis les Grecs ( les crampons de fer), l’autre depuis les Romains (le ciment). C’est l’idée d’associer ces deux matériaux, l’in travaillant à la compression (le ciment, puis le béton), l’autre à la traction (le fer puis l’acier), qui s’est lentement développée au cours du XIX° siècle. Le béton a en effet une bonne résistance à l’écrasement, mais une mauvaise aptitude à la tension. Pour augmenter la résistance à la tension et la rendre égale à la résistance à l’écrasement, on eut l’idée de noyer à l’intérieur du béton des armatures d’acier.
Cette alliance fut pendant longtemps empirique puisque la première théorie du béton armé (le béton résiste à la compression et le fer à la traction) n’a été écrite par Koenen qu’en 1886. En conséquence, on put alors diminuer la masse du béton dans la zone de traction. Les portées devinent toujours plus minces. »
p.247
    "Jadis, les dimensions des ouvertures des portes et des fenêtres étaient tributaires de la portée des pierres de taille, des poutres de bois, ou des arcs de briques. Avec l’acier et le béton aux portées bien supérieures, les grandes ouvertures apportent une révolution des formes. Révolution accentuée par le fait que les murs et cloisons devenaient indépendants des points d’appui.
    Le béton armé est donc une sorte de pierre artificielle qui a l’avantage, sur la naturelle, d’absorber les forces de tractions. Le bois résiste aussi à la compression et à la traction. Mais tandis que des le bois les résistances à la traction et à la compression égales, la résistance  à la traction est modifiables dans le béton armé. L’humidité, la chaleur, n’influence pas le béton, comme la plupart des autres matériaux. Il a sur le bois et l’acier, l’avantage de résister au feu .»

6. Loos A. :Le discours de l’architecture moderne

Prédominance de la structure sur la décoration, volonté de faire table rase du passé, concordance de la forme et de la fonction,… voilà bien des attribut que l’on peut attribué a l’architecture moderne, mais parlons de forme, de forme du discours. Car l’architecture moderne c’est aussi un discours, un discours heuristique dont les références ne vont pas cesser de s’élargir, l’art, mais aussi l’histoire, la sociologie,…L’architecte moderne est un franc tireur, un provocateur. Adolf Loos (1870-1933) est remarquable par le style de ses écrits qui  fera beaucoup d’émule. Voici un extrait de Ornament und Verbrechen, Ornement et Crime, parue en 1908.
    « J’ai formulé et proclamé la loi suivante : à mesure que la culture se développe, l’ornement disparaît des objet usuels. Je croyais apporter à mes contemporains une joie nouvelle ; ils ne m’en ont pas remercié. Au contraire, ce message les a remplis de tristesse ; ils étaient accablés à l’idée de ne pouvoir « créer » un ornement nouveau. Le premier nègre venu, les hommes de tous peuples et de tous siècles avaient inventé des ornements, et nous seuls, les hommes du XIX° siècle, n’en étions point capables. En effet, les maisons, les meubles, les objets unis que les hommes des siècles précédents on construits ou fabriqués n’ont pas été jugés digne de survivre ; ils on disparu. Nous ne possédons pas un établi de menuisier du temps des Carolingiens. Par contre, la moindre planche qui portait un ornement quelconque a été recueillie, nettoyée, soignée, et nous bâtissons des palais pour abriter cette moisissure ; et nous nous promenons entres les vitrines, et nous rougissons de notre impuissance. ‘‘ Chaque siècle, disait-on, a eu son style : serons-nous seuls à n’avoir pas de style ?’’ On parlait de style, et on entendait l’ornement. Alors j’ai commencé ma prédiction. J’ai dit aux affligés : ‘‘ Consolez-vous. Ouvrez les yeux, et voyer. Ce qui fait justement la grandeur de notre, c’est qu’il n’est plus capable d’inventer une ornementation nouvelle. Nous avons vaincu l’ornement ; nous avons appris à nous en passer. Voici venir un siècle neuf où va se réaliser la plus des promesses. Bientôt les rues des villes resplendiront comme des grands murs tout blancs. La cité du XX° siècle sera éblouissante et nue, comme Sion, la ville sainte, la capitale du ciel.’’
    Mais j’avis compté sans les retardaires, les Amis du passé, qui tenaient à ce que l’humanité continuât à subir la tyrannie de l’ornement. Et pourtant, l’ornement ne provoquait chez l’homme moderne aucun plaisir. Les Européens de la fin du XIX° siècles étaient déjà assez cultivés pour qu’un visage tatoué ne leur inspirât que du dégoût. Ils achetaient des étuis à cigarettes en argent poli et laissaient au marchand l’étui ciselé s’il coûtait le même prix. Ils aimaient leurs vêtements modernes, et laissaient aux singes de la foire les culottes de velours rouge à galons d’or. C’est à ces hommes modernes, mes contemporains, que je disait : regardez la chambre où est mort Goethe. Elle est plus belle dans sa simplicité que tout l’apparat de la Renaissance. Une armoire lisse est plus belle que toutes les sculptures et incrustations des musées. La langue de Goethe est plus belle que le « beau langage » des Précieux, des Bergers à la Pegnitz.
    Mes bonnes intentions déplurent aux Amis du passé, et l’État, dont la tâche consiste à retarder les peuples dans leur développement, se fit le défenseur de l’ornement menacé. C’était dans l’ordre : l’État n’a pas à charger ses fonctionnaires du soin de faire les révolutions… Il ne faut pas oublier que l’État autrichien prend sa tâche au sérieux plus que tous les autres. Il pousse le respect du passé jusqu’à empêcher la disparition des « chaussettes russes » ; il oblige les jeunes gens modernes, pendant trois années de leur vie, à marcher les pieds enveloppés dans des bandes de toile. Après tout, il a sans doute raison, étant admis le principe qu’un peuple retardataire est plus facile à gouverner.
    Il faut donc nous résigner à ce que l’État entretienne et subventionne la maladie de l’ornement. L’évolution de la Culture ressemble à la marche d’une armée qui aurait une majorité de traînards. Il se peut que je vive en l’an 1913. Mais l’un de mes voisins vit en l’an 1900, et l’autre en l’an 1880. C’est un malheur pour l’Autriche que la culture de ses habitants s’étende sur une trop longue période. Les paysans des hautes vallées du Tyrol vit au XII° siècles et nous avons constaté avec horreur, en voyant le cortège du Jubilé de l’Empereur, que nous avions encore en Autriche des tribus du IV° siècles.
L’homme moderne est encore dans notre société un isolé, une sentinelle avancée, un aristocrate. Il respecte les ornements qu’ont produit normalement les époques passés. Il respecte le goût des individus et des peuples qui n’ont pas encore atteint notre degré de culture. Mais, pour son compte, il n’a plus besoin d’ornements, et il sait qu’un homme de notre siècle ne peut plus en inventer qui soient viables. »
« L’homme de notre temps qui éprouve le besoin de barbouiller les murs est un criminel et un dégénéré. Ce besoin est normal chez l’enfant qui commence à satisfaire son instinct artistique en crayonnant des symboles érotiques. Chez l’homme moderne et adulte, c’est un symptôme pathologique. L’inventeur d’ornements modernes n’est plus un artiste vigoureux et sain qui parle au non de son peuple ; c’est un rêveur isolé, un attardé, un malade… L’architecte qui revient d’entendre Beethoven et qui s’assied à sa table pour dessiner un tapis « Art nouveau » ne peut être qu’un escroc et un dégénéré. »

 

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