Les réfugiées doivent-ils disparaître? (PartII)

Publié le par olivier Legrand

    La politique mise en place par le gouvernement de la République de Chypre  en faveur des populations expulsées par l’invasion de 1974 comprenait un volet urbanistique. L’analyse  des réalisations mené dans le domaine de l’urbanisme permet de comprendre les choix politiques qui ont sous-tendu son action volontariste. Une bonne compréhension de ces choix  nécessite au préalable la prise en considération de deux facteurs qui sont l’identité des institutions en charge des politiques d’aménagement et la configuration spatiale des villes. Le volet urbain de la politique d’accueil des réfugiés s’est concentré sur la question du logement, dont les effets sur la structure spatiale et sociale de la partie sud de l’île sont importants.

Le principal problème de cette recherche vient du manque d’information récente disponible autour de ce sujet. L’analyse présentée a été en grande partie réalisée grâce au travail de thèse  C. ELIADES, La politique d’accueil des réfugiés et l’organisation de l’espace urbain et rural en République de Chypre, réalisé en 1982 à l’Institut d’Aménagement Régional Aix-en-Provence, elle reste malgré son ancienneté un travail de référence.

La faible place des politiques d’aménagement et d’urbanisme au sein de la République pré-1974
Il n’existait pas  en 1974 de service ministériel spécifique et indépendant chargé des questions d’aménagement du territoire. Trois Départements pouvaient être considéré comme les porteurs officiels de la politique gouvernemental en matière d’aménagement, le Planning Bureau, le Département du cadastre et de l'arpentage et  le « Town Plannig and Housing Department ».
 Le Planning Bureau  est une agence indépendante en coopération avec le Ministre des Finances. Elle a pour mission de  préparer les  documents de planification pour la Commission du Plan qui regroupe différent ministère et de procéder à des  évaluations économiques1. La mise en cohérence des politiques de planification économique et  physique fut faite de manière progressive et marqua un détachement face à l’héritage Britannique dans ce domaine. Ce n’est qu’à partir du troisième plan quinquennal de 1971 que le Planning Bureau consacrera au sein du Plan un volet important au politique d’aménagement et d’urbanisme. En tout état de cause le Plan quinquennal de 1971-1976 ne pouvait prévoir des mesures pour faire face à une telle situation.
Les deux autres département  étaient placés sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. Le Département du cadastre et de l’arpentage est le plus ancien et le plus grand Département de la République de Chypre. Son rôle et ses responsabilités sont multiples, il a notamment  pour mission la mise en vigueur de l'enregistrement foncier et du système de tenure, l'examen des titres et la gestion des propriétés gouvernementales. L’invasion de 1974 donna à ce Département un nouveau rôle. La centralisation des informations au  Bureau Nicosie permis de palier à la perte des titres de propriété par les populations réfugiées et par la prise des Bureau des Districts de Kerynia et de Famagusta par l’armée Turque. Le département fut donc chargé de distribuer de nouveau titre propriété spécifique aux réfugiés et ceci grâce notamment à la réouverture du Bureau de Kerynia à Nicosie. Ainsi, le Département du cadastre et de l’arpentage a perdu sa nature purement administrative et se retrouve au cœur des enjeux politiques de l’île.

1Chypre, Aménagement du territoire et aménagement Urbain, Mission d’identification, R.Leclerc Y. Paris, Agence Française pour l’Aménagement et le Développement à l’Étranger,1986

Le « Town Plannig and Housing Department » correspond à l’organe en charge des politiques d’aménagement. Pourtant ce Département ne possédait pas de pouvoir exécutif, il n’avait donc qu’un  rôle consultatif. Il devait convaincre les entrepreneurs privés du sens que le développement de leur propriété foncière ou immobilière devait prendre1.

    Cette faiblesse acteurs publiques en charge de l’aménagement et de l’urbanisme traduisait une volonté  politique de limiter l’intervention étatique dans un domaine où le secteur privé était important et dynamique2. C’est ce qui explique l’inexistante de politique de logement social au sein de la République d’avant 1974. La politique de relogement des réfugiés s’est mise en place au sein d’institutions publique aux compétences limités

Les opportunités liées à la morphologie urbaine

La spéculation foncière est un facteur puissant dans l’organisation du tissu urbain chypriote. Les prix élevés du foncier en milieu urbain sont notés bien avant l’indépendance de 1960 et l’invasion de 1974.  En 1959 W.Windyer Morris remarquait que  l’« une des premières choses qui frappent le chercheur étranger qui s’interroge sur les villes Chypriotes sont les prix inouïs demandés pour le sol urbain »3. Selon l’auteur, la demande accrue du sol fait suite à l’émigration rurale interne. L’auteur met en avant le fait que l’« accroissement considérable d’argent épargné cherchant à s’investir » se serait reporté majoritairement sur l’achat de terrain du fait de « l’absence relative d’autres investissements lucratifs ». L’invasion de 1974 n’a pas profondément changé cet état de fait, les problèmes liés à la spéculation se retrouvent dans l’article Social Change and Urbanization in Cyprus. A study of Nicosia  datant de 1981. L’auteur, M. Attalides, présente les conséquences de cette forte spéculation sur la morphologie urbaine, qui sont de deux types. Elle explique l’importance des terrains vides dans les villes chypriotes, l’auteur estimé qu’entre 40-50% de la superficie des villes chypriotes sont couvertes par des espaces vident et quand  1969  ces espaces vident représenté 48,5% de la superficie totale de Nicosie et 43,8% de la superficie de Limassol. Elle entraîna aussi la dispersion et l’imbrication des différentes activités industrielles, commerciales et résidentielles à la périphérie des principaux centres urbains. Les villes chypriotes semblent êtres touchés durant ces années par un fort mouvement de périurbanisation avec notamment un départs des élites des centres villes 4..
Les différentes explications des mécanismes à l’origine de cette forte spéculation posent de nombreuse question. Ce surinvestissement dans le foncier à l’échelle locale est en contradiction avec les analyses faites à l’échelle nationale, l’économie chypriote est considérée comme trop dépendants des investissements étrangers. Si l’investissement dans le foncier était dans les années 70-80 le secteur le moins taxés5, ses profits devaient  pouvoir rivaliser à la fois  avec ceux  réalisés dans le secteur touristique par exemple et les risques liée à une ligne de cessez-le-feu turc imposé unilatéralement.
Face à cette configuration urbaine, le choix d’implantations des logements destinés aux réfugiés pouvait prendre de direction opposé. L’action de l’état pouvait se concentrer sur la consolidation de l’espace urbain en tentant de « reboucher » les trous présents au sein du tissu urbain ou bien elle pouvait poursuivre le mouvement de dispersion et donc installer ces logements en périphérie des principales villes.


1-2 La politique d’accueil des réfugiés, C. ELIADES, Thèse de Doctorat 1982
3Planning Report, W.Windyer ,Cyprus Gouvernment Printing Office, Nicosia 1959
4-5  Nicosia , R.Zitter, Cities 1885

La politique de relogement, choix d’implantation et de structure

    Annoncé vers la fin de l’années 1976, le « Plan pour le Relogement des Réfugiés »lancés par  le gouvernement en vue de répondre au problème du relogement. La solution consistant à utiliser les propriétés Chypriote turque ne pouvait être suffisante, solution qui fut  utilisée dans zone occupée, car l’ensemble des biens immobiliers chypriote turque évacué n’était pas suffisant pour reloger la majorité des réfugiés. Le Plan gouvernemental pour le relogement des réfugiés se composa de trois type d’opération, la mise en place de  Quartiers Gouvernementaux de Réfugiés (Q.G.R), de Quartier Gouvernementaux d’Auto logement (Q.G.A) et de la réhabilitation de maisons Chypriotes turques évacué. Le Plan opte pour la construction de quartiers à la périphérie des villes et des villages.Les Q.G.R concernent le milieu urbain tan disque que les Q.G.A concernent le milieu rural, les premiers devaient avoir une vocation urbaine et les seconds une vocation rurale.

Les différentes structures

Les Quartiers Gouvernementaux de Réfugiés (Q.G.R) sont la réalisation la plus importante du Plan.  Les Q.G.R diffère des grands ensemble que l’on retrouve à la périphérie des grandes villes européennes par leurs hauteurs maximales qui n’est que de 3 étages. Ils devaient être  construit à la périphérie des centres urbains et être intégrés dans les Local Plans de ces derniers. Leur conception répond au critère de l’architecture moderne avec la mise en place de logement type et d’une hiérarchisation du réseau de voirie permettant une distinction entre les routes automobiles et les rues piétonnes. L’influence des théories de la Charte d’Athènes est aussi perceptible à travers la volonté de rendre c’est morceau de ville autonome, chaque Q.G.R étant doté selon le plan d’un centre commercial.

Les Quartiers Gouvernementaux d’Auto Logement (Q.G.A) correspondent à lotissement en terrains individuels sur un périmètre prédéfini. Les terrains sont distribués aux candidats et une somme leur était fournie afin de couvrir l’ensemble des frais de construction. Cette aide ne couvrait que la construction, les réfugiés durent avoir recourent à des emprunts. Les candidats devaient construire leur maison selon des prototypes fixés  par le Département d'urbanisme. Ayant une vocation rurale, ils doivent êtres installés en préférence dans le milieu rural. Les premiers Q.G.A ont été réalisés dans les zones connaissant une importante concentration de réfugiés, près de leurs villages d’origine, a proximité de la ligne de démarcation.

Le relogement dans les maisons et villages Chypriotes Turcs est la dernière solution du Plan. De nombreuses maisons vacantes se sont vues investir par une partie des  réfugiés durant le mois d’août et de septembre 1974. Le Plan mis en place venait réglementer et officialiser une situation de fait. Les importants quartiers urbains chypriotes turcs à Limassol, Larnaka et Paphos  furent démolis car les maisons furent déclarées insalubres. Il a été construit des logements neufs à l’intérieur des villages turcs dans le but de les réanimer, ce fut le cas du village de Klabund dans le district de Larnaka. Seules les personnes ayant le statut de déplacé pouvaient bénéficier de contrat de location des maisons ou d’autre type de propriété immobilière chypriote turque.
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Le choix des terrains et ses conséquences

Le coût global de la construction dépendait en partie des prix fonciers et donc de la proximité du centre urbain et de la nature de la propriété. Ainsi afin de baisser les coûts le Plan a opté pour deux  type de terrain, les terrains appartenant à l’Etat et ceux appartenant aux Chypriotes Turques et la construction en périphérie.
Ce choix, qui ne fut pas guidé que par des considérations économiques, a deux conséquences juridiques. L’ensemble des propriétés immobilières Chypriote turques (logement, locaux, terrain et lot agricole) est resté la propriété légale de leur ancien propriétaire. Leur patrimoine  immobilier c’est vu réquisitionner et géré par le Gouvernement qui la redistribue aux réfugiés ayant droit. En 1976 est créée la Commission de Gestion de la propriété chypriote turque  qui dépend du Ministère de l’Intérieur, elle gère l’ensemble du patrimoine immobilier Chypriotes turcs. Les indemnités dues aux propriétaires légaux, les Chypriotes turcs, ne seront versées selon le Plan qu’ultérieurement, c’est-à-dire une fois que les conditions politique normales seront rétablies, donc après la réunification. Cette option politique a aussi pour conséquence d’interdire l’accession à la propriété pour les bénéficiaires des logements prévus dans le Plan.

Conséquence spatial
La  carte  page 18 donne un aperçu de la répartition spatiale des aménagements effectués dans le cadre du Plan (à l’exception des  réhabilitations de maison Chypriote turc). Les  175 Q.G.A se répartissent autour de 53 villages alors que les 37 Q.G.R sont concentrés à la périphérie des centres urbains. Ils sont tous ordonnés en fonction des axes routiers majeurs. La répartition de l’ensemble de ses réalisations est périphérique laissant vide le massif du Troodos. Pour le district de Limassol l’installation des Q.G.A  et des Q.G.R diffère de la répartition observée dans  les autres districts avec une forme plus compacte. Les Q.G.A  se localisant derrière une ceinture que forment les Q.G.R autour de  la ville de Limassol. La réalisation d’ensemble du Plan reprend alors une structure urbaine classique, avec un centre ville entouré de grand ensemble avec au-delà un tissus urbain dispersé où domine les résidences individuelles.
    Les Q.G.R et les Q.G.A correspondent à l’application d’une politique de planification dans le domaine de l’aménagement du territoire puisqu’il s’agit de logements neufs créés sur une territoire « vierge ». Le Plan n’a donc pas exploité les possibilités offertes par la morphologie urbaine des villes chypriotes et n’a donc pas utilisé son programme de relogement pour « boucher » et consolider l’armature urbaine.

Conséquence social
Du fait des conditions d’accès différentes entre les Q.G.R et les Q.G.A on peut en déduire que les populations les plus défavorisées parmi les réfugiés se sont installées dans les Q.G.R. Les Q.G.A se caractérisaient par une participation directe du bénéficiaire, ce qui en limité l’accès.
De cette différence induite par ses structures découlent des différences entre les principales villes. Le district de Nicosie a accueilli 38,8%  des réfugiés, le Plan de relogement y avait prévu une proportion de logement Q.G.R beaucoup plus importante, de 52%. Dans le district de Limassol, les logements Q.G.R prévus par le Plan sont proportionnellement inférieurs à la population accueillie. La grande majorité des anciens citadins de Famagouste s’installèrent à Limassol, ville qui offrait les mêmes conditions de vie et d’emploi que leur ville d’origine. C’est donc cette surreprésentation de la « petite bourgeoisie urbaine » à Limassol, très active dans le domaine des commerces et des services qui seraient à l’origine de la faiblesse des constructions de type Q.G.R et qui auraient favorisé le développement de la ville qui est aujourd’hui le deuxième centre urbain de Chypre. À l’inverse la capitale a hébergé une grande partie des réfugiés en provenance de la région rurale de Kerynia.

Tableau 3, Comparaisons entre les logements fournis par le Plan de relogement et la présence de population réfugiés par district en 1981
District    Logements dans     Logements dans   Maisons C/T réhabilités, en %      Population Réfugiés, en %                                   les Q.G.R, en %          les Q.G.A, %                          
Nicosie                52,8                                26,6                        5,5                                                    38,8
Limassol            16                                    28                            43,5                                                  28
Larnaca              30                                   31,8                         25                                                     23,9
Famagouste      0,5                                  12,5                            0                                                       5
Paphos               0,7                                    1                              25,8                                                   4,3
Source : C. Eliades, La politique d’accueil des réfugiés, Aix-en-Provence 1982


    Les réalisations menées par les différents services d’urbanisme et d’aménagement pour faire face à cette crise ont permis une résolution du problème de logement dès le début des années 80. Ainsi l’inexistence d’institution important avant la crise n’a pas empêché la mise en place d’un programme d’une telle envergure. Mais il ne peut être réalisé qu’avec l’appui des puissances étrangères. Les U.S.A versèrent plus de 200 millions de livres chypriotes, par le biais du « Haut Commissariat aux réfugiés » de l’ONU et ce jusqu’en 1982. L’ambassadeur des USA supervisa l’avancement des travaux  des Q.G.R pendant la toute première phase de réalisation  et livra les clés aux réfugiés pendant la première  cérémonie de distribution des logements. Le Fond de Développement du Conseil de l’Europe, créé en 1956 pour répondre notamment à la question des réfugiés Est allemand, participa au financement de cette politique.
    Le choix effectué dans la structure et le type de logement offert aux réfugiés est en harmonie avec ceux effectué en Europe de l’ouest pour faire face aux grande crise du secteur immobilier. Ainsi les théories de Le Corbusier, dont le courant architectural semble avoir fait école jusque dans les écoles d’architecture Chypriote, furent appliqués pour répondre aux besoins des réfugiés les plus défavorisé économiquement. La population dotée d’un plus grand capital économique ayant préfère majoritairement la maison individuelle comme mode d’habitation. L’architecture moderne qui prônait un nouveau modèle de ville pour tous a été utilisée à Chypre comme une solution économique de construction.Le choix de ne pas intégrer spatialement les quartiers de réfugiés aux villes existences fut critiqué car risquant d’introduire une forte discrimination envers les réfugiés, les privant du « droit à la ville »1. Mais l’absence de volonté politique pour faire face au problème de la spéculation foncière a entraîné jusque dans les années 1985 une forte dispersion de l’habitat au sein des principales. Cette dispersion entraîna une forte ségrégation socio-spatiale qui semble-t-il rendu moins visible la situation des population habitants des quartiers de réfugiés3. L’intervention du gouvernement dans le domaine du logement s’est élargie aux catégories de la population connaissances des difficultés de logements, le Plan de relogement des réfugiés fut à l’origine d’une politique de logement social plus vaste. Enfin cette politique participa aussi la transformation de l’armature urbaine de l’île remettant en cause l’hégémonie de Nicosie.



1 La politique d’accueil des réfugiés, C. ELIADES, Thèse de Doctorat 1982
2 Nous ne disposons pas d’étude récente sur cette question
3 Nicosia , R.Zitter, Cities 1885
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